Un poète ne pouvait mieux résumer le regard d’un artiste sur le monde. « L’œil écoute » Paul Claudel. Je lui sais gré d’avoir su faire danser ces deux mots et d’en avoir extrait une vision originale de l’Art.
Ce monde sensible l’œil commun le traduit chaque seconde en une fraction de temps qui le subordonne. Ces paysages, ces corps prennent du sens, pourvu qu’on le leur prête mais ils défilent souvent dans la plus totale indifférence pour des yeux sourds.
Oui, l’œil du photographe est sensible à la lumière. Il écoute le monde vivant, écho de mobiles et volatiles instants. Un monde en perpétuel mouvement, fait de lumières et de formes, de pleins et de vides, de couleurs vives ou mornes, de matière et d’air, de connu et d’inconnu, que le cerveau interprète universellement ou de façon si singulière que la nature s’identifie alors à un mystère.
La lumière n’est rien d’autre qu’un regard qui illumine le monde.
L’œil du photographe écoute l’écosystème, l’urbain ou le rural, le sauvage ou le policé, l’ordonné ou l’aléatoire.
L’œil du photographe laisse pénétrer l’esprit du vent, de la pluie, du feu, des larmes de joies et de tristesse, dans le tunnel étroit de son objectif sensible.
Aucun son n’échappe à cet œil : aucun bruissement, crépitement, cris et piaillement, aucun silence non plus, ne peut fuir le miroir inversé de sa réflexion permanente. L’œil écoute et entend tout.
L’œil, comme un delta rayonnant au-dessus du monde, qui ne juge ni ne s’impose, dans la discrétion d’une symbolique tombe, l’œil voit tout et transforme le mouvement en en figeant l’éternelle flamme.
La photo capte le reflet de l’âme du monde dont l’espace et le temps sont singulièrement concentrés sur un rectangle 24 × 36.
Mais Chenier disait que si « l’art ne fait que les vers, le cœur seul est poète. ». L’œil du photographe écoute mais c’est bien l’œil du cœur au centre de l’objectif, au centre du cercle.
La photo est un jaillissement d’émotions qui transcendent la matière et qui sont synthétisées. La photo fait du bien ; elle est un révélateur d’absolu.
La beauté du Monde dépend de ce regard qui la mérite et en dégage la flamboyante et permanente essence ;
Si nos pupilles projettent sur les choses des lumières mentales noires qui assombrissent le monde, le photographe opère un travail de renversement pour puiser l’essence de la beauté perdue.
Le photographe sait se tenir à bonne distance du monde qu’il maîtrise. Il s’élève au-dessus de son sujet et, ce faisant, parvient à mettre la terre au niveau du ciel.
L’œil se joue des contre-jours, un clic à droite, un clic à gauche il contrôle sa balance des blancs et toute sa palette de couleurs vives ou sombres.
L’œil écoute la beauté égarée du monde. Il retrouve son innocence originelle.
Une belle photo sublime tout ce que les mœurs ont enlaidi et répare toutes les formes abîmées. Une belle photo est toujours thérapeutique.
La détresse humaine et les barbaries sont ainsi dénoncées au travers les images chocs ; l’œil écoute le cri original du cœur et il exfiltre toute l’innocence que la barbarie tente de brimer.
L’ombre est le révélateur de la lumière.
Figurer, transfigurer. Le monde manifesté révèle sa beauté et parle avec le langage de l’innocence.
L’écoute simple du monde nous permet d’entrer en vibration avec lui par l’attention soutenue du détail.
L’œil du photographe donne du piqué au monde. Et dans la chambre noire, il laisse passer la vraie lumière, celle dont notre voile d’habitude a depuis bien longtemps interdit l’accès, derrière notre rideau de barbares certitudes et de honteuse suffisance.
Quel est le point commun entre un paysage, un corps de femme, un regard d’enfant, un sourire de guerrier Maori, la détresse d’une famille syrienne ?
Le nu exhibé se gaspille comme l’essence qui s’échappe du flacon ouvert. La beauté froide d’une femme n’est jamais le signe d’une beauté d’âme, la beauté sans charme révèle toujours un mélodrame. Le charme, comme le malheur ne s’exhibent pas. La photo doit suggèrer et proposer une attention personnelle et bienveillante. La suggestion élève les sens, elle est une poésie des sens. Toute nudité est innocente. Celle des corps, celle des âmes, l’érotisme des hommes, des femmes, l’innocente nature, son appel au secours... On est toujours nu quand on est authentique, même habillé. Au fond du regard il y a la pureté innocente de l’enfance qui ne nous a jamais quitté. La vraie brillance ne réside pas dans le paraître. La vraie brillance vient du cœur et ne se consomme pas. La vraie flamme en l’homme ne se consume pas. Elle est éternelle.
Oscar Wilde disait « la musique met l’âme en harmonie avec tout ce qui existe. » L’œil écoute sans doute cette mélodie discrète qui murmure au fond des cœurs et le photographe fait redonner cette lumière originelle dans chacune de ses compositions redonnant de l’espoir au monde et remettant un peu de couleur là ou de froides intempéries l’avaient érodé.
Le beau ce n’est pas ce que les yeux traduisent, c’est ce que le cœur perçoit. Si le monde ne dépend que d’un regard, son unité dépend surtout du cœur. L’extase n’est d’ailleurs pas l’apanage des grands mystiques. Elle est à notre portée chaque fois que nous expurgeons le voile qui couvre le monde immédiat.
L’œil écoute : il décompose le monde, le recompose, en donne une lecture intemporelle et opère une rédemption pour ne pas dire une réincrudation alchimique.
Toute re-composition du monde est en ce sens une promesse d’éternité, son espérance et son révélateur.
Le photographe regarde le monde comme le reflet originel dont le jeune enfant est encore complice et que les adultes couvrent d’un voile d’ignorance. Je dis souvent que les enfants sont des lampes qui laissent passer un peu de la lumière originelle. Le photographe à gardé ses yeux et son cœur d'enfant.
L’œil qui écoute donne au photographe la spontanéité de l’évidence. Oui, l’œil qui écoute le fait d’évidence, sans chercher à en rajouter. Il saisit le moment simple, le bon. Celui qui parle. Celui qui crie. Celui qui pleure. Celui qui aime ou qui détruit. Oui l’œil écoute sans juger et donne à penser, là aussi, d’évidence et spontanément.
Le maître Henri Cartier-Bresson ne dit rien d’autre d’ailleurs et bien mieux : « Photographier c’est mettre sur la même ligne de mire la tête, l’œil et le cœur ».
J’aime toutes ces innocences qui déchirent le cadre et témoignent d’un monde en laissant entrevoir par la force de l’émotion, sa forme idéale et absolue.
L’arrêt sur image qui s’opère, par la fixation du mouvement rapide, est une pause salvatrice. Je me rappelle cette maxime Grecque que Poincaré rapportait en 1905 dans son ouvrage « la valeur de la science », pour agir il faut s’arrêter.
C’est sans doute pourquoi, l’œil fait plus qu’entendre. Toute attention est agissante et toute action constitue l’être et en témoigne, à la lumière du jour.
Le photographe est bien un passeur : il filtre la lumière éblouissante, il l’inverse et nous la retourne comme un choc moral rédempteur. La beauté est contagieuse et transcende toute chose. L’esprit n'anime t-il pas la matière? comme le prétend la maxime latine.
Les pixels ordonnés par l’œil du cœur sont une création spirituelle et un art majeur sur le chemin de notre vie. L’œil qui écoute est le confident et l’ami de la Vie.
Le chemin de l’art est celui de l’étonnement où s’éveille les transcendances.